vendredi 17 janvier 2020

Toujours en alerte

Les jeux vidéos sont pour moi une métaphore de la vie et me permettent souvent de réfléchir à ma façon d'aborder les situations de la vie réelle. Hier je jouait avec mon fils à Destiny (un jeu de tir à la première personne qui se passe dans un futur lointain). Nous étions dans un vaisseau ou plusieurs types d'ennemis se battent, se renouvelant à l'infini. On ne peut pas gagner, juste combattre. Une sorte de Valhalla des vikings en quelque sorte. J'aime bien ce vaisseau, à cause de ses ruines et de ses bruits de guerre. C'est un peu mon côté sombre qui s'y exprime.

Au début nous prenions les missions et remplissions nos objectifs. Mais au bout d'un moment je me suis rendu compte que quelque chose clochait. Nous errions dans le vaisseau, courant, ramassant des objets, tuant des ennemis, alors que nous n'avions même plus de mission en cours.

Courir, tuer, courir, tuer... sans objectif précis, sans comprendre pourquoi, comme si on cueillait des fleurs pour le plaisir, dans un total abrutissement après des heures de combat virtuel, le regard perdu, en mode automatique, sans se poser de question. Frénésie du combat, quand le seul but à la vie est de rester vivant, coûte que coûte... même en virtuel.

"Il se leva, et frappa les Philistins jusqu'à ce que sa main fût lasse et qu'elle restât attachée à son épée." 2 Samuel 23/10

Quand j'ai relu ce verset de la bible aujourd'hui les larmes me sont tout de suite montées aux yeux. Il me revient souvent en tête en ce moment. Je l'ai lu il y a 20 ans et je ne l'ai jamais oublié. Pourtant, dans la longue généalogie duquel il est tiré, il semble souvent insignifiant à la plupart des lecteurs qui ne le remarquent même pas. Pour moi, autiste, il est très parlant. Il correspond à ce dont j'ai pris conscience durant le jeu avec mon fils. Être autiste, c'est être un résistant dans une ville assiégée qu'on refuse de quitter, c'est un combat quotidien contre un ennemi dont tout le monde ignore l'existence. C'est un combat sans fin, qui dure de toute éternité et pour toujours.

Dans ce jeu, quand je combat aux côtés de mon fils, c'est le seul moment de la vie où l'on peut nous voir comme des frères d'armes. Autrement, nous semblons n'être qu'un père et son fils. Mais où est la réalité finalement ? Pour le coup, le jeu, avec ses ruines, ses bruits de guerre, ses ennemis qui nous agressent continuellement, me semble plus vrai que ce qu'on appelle communément "la réalité". Ma réalité à moi ressemble à ça. C'est le monde réel qui semble être un décor ridicule. C'est un problème que les vétérans connaissent bien : la guerre est une chose dont on ne revient jamais et il faut continuer à vivre comme si de rien n'était. La situation des autistes en France est un véritable Verdun psychologique, où nous passons notre temps terrés comme des rats dans des tranchées, quand nos "chefs" eux-mêmes ne nous tirent pas dessus pour nous en faire sortir. En même temps, il faut bien sortir des tranchées un jour ou l'autre après tout. Qu'a-t-on à perdre quand on est déjà mort ?

Certains en profiterons peut-être pour dire que "les jeux vidéos, c'est mauvais", surtout quand on joue autant. Mais jouer, pour moi, c'est circonscrire le combat à un rectangle lumineux dans lequel on peut arriver à gagner. Et quand on en a assez on peut toujours éteindre la console. C'est toujours moins pire que la réalité, que ce que mes yeux voient quand je quitte l'écran : le combat de la vie réelle, qui nous abrutis chaque jour, nous fait courir partout, sans comprendre où l'on va, pour se battre pour des causes perdues, où toutes les valeurs sont inversées, où l'on ne peut plus croire en rien, ou rien ne tient jamais, comme si nous construisions des châteaux de sable en pleine marée montante.

C'est un peu rassurant de jouer. Au moins on se dit que l'horreur de l'humanité n'est qu'une fiction, pendant un temps. L'autisme est un peu le pays des enfants sans paupières, qui ont du mal à être vraiment heureux parce qu'ils ont trop conscience du monde tel qu'il est, du moins c'est mon cas. Je suis horrifié par ce que mes yeux voient, et je ne parle pas des jeux vidéo bien entendu.

Dans Destiny, il y a trois factions auxquelles ont peut adhérer. La première dit qu'il faut se trouver un dirigeant et s'enfermer derrière un mur pour se protéger des ennemis, la deuxième dit qu'il faut s'enfuir très loin et quitter le système solaire. La troisième, celle que j'ai choisie, enseigne qu'il y a aura toujours une guerre à faire quelque part, alors il vaut mieux apprendre à aimer cette vie de guerrier et se préparer aux guerres futures.

C'est comme dans la vie réelle, il faudra bien apprendre à aimer et la guerre et le dénuement, car l'humanité ne nous a jamais rien accordé d'autre et vue le contexte actuel, ce n'est pas prêt de changer. Nous cherchons tous à vivre en paix, mais il y a le combat pour les autistes, le combat pour les personnes de couleur, le combat pour les homosexuels, les personnes transgenres, et la liste est encore longue, de combats qui n'ont même pas encore été gagnés. Quand je regarde la société, je ne vois aucune civilisation.
Drôle de constat aujourd'hui : ça fait déjà plusieurs mois que je n'avais même pas pris le temps d'être triste !

Allez, il faut que j'y retourne. Mon Valhalla m'attend.

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